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Avant, il y eu Nestorisbianca, groupe initié au début des années 2000, avec lequel Marie-Céline Leguy et Lionel Laquerrière sortirent trois albums. Puis vînt Geysir, dont la première création fut un ciné-concert sur le film Le Voyage Fantastique de Richard Fleischer (1966). Iels y développaient un canevas musical homogène : celui d'une électro contemplative, cinématographique, influencée principalement par la scène musicale allemande des années soixante-dix.
Dans la lignée d'un premier EP, leur précédent album, “Malsamaj” (2019) lorgnait ainsi ses influences ; aussi bien les B.O d’Ennio Morricone que la scène Kosmische allemande de Tangerine Dream, Klaus Schulze et consorts. S’y déployaient synthétiseurs analogiques et boîtes à rythmes séculaires dans de grands morceaux instrumentaux, comme autant d'odes rétro-futuristes et sensuelles.
Fondamentalement, ”Tanzwelle” ne déroge pas à cette règle. Enregistré et réalisé à demeure, dans le village de Thoré-la-Rochette, ce nouvel album prolonge l’instrumentarium des opus antérieurs : synthétiseurs, batteries électroniques, accompagnés de la présence acoustique de mandolines, basses et guitares. L'inspiration krautrock subsiste, ce que ne contrariera pas le somptueux et germanophone Mit Dir Allein Stein, morceau où l’on croise l’émouvante présence de Fred Und Luna, artiste inclassable de l’underground allemand, ami très proche du duo et décédé plus tôt cette l’année.
Pourtant, la musique a bien évolué, à commencer par la présence du chant, omniprésent et saisissant dès l'inaugural et somptueux No Fear. Les voix de Marie et Lionel envoutent, lovées dans les textures synthétiques, apportant une énergie narrative nouvelle. Les paroles, simples et élégantes, nous parlent de résilience, des êtres aimé.e.s, des injustices contre lesquelles nous nous battons et que ne surmonteront que les cœurs rassemblés.
A l'écrin kraut initial, se découvre une grande palette de styles : se croisent ici et là les influences d’un post-rock atmosphérique, de celui que Lionel pratiqua en compagnie de Yann Tiersen sur les tournées de ce dernier ou au sein de leur projet commun ESB ; du shoegaze (le très éthéré Love Words, rappelant les brumes de Slowdive), ou encore de l'electronica. Open Bay, ballade sombre et organique, évoque à l'envie Massive Attack ou le Bowie période Outside. Tout en clair-obscur à sa suite, Freaking Love, bouleversante chanson au minimalisme saisissant, nous emmène au contraire dans des cîmes de grâce. Morceau après morceau, le duo joue avec les formes qui lui sont chères, découvre un éventail impressionnant de matières sonores, prenant le temps que ses forces supposent pour nous submerger de beauté. Tanzwelle, dansante conclusion de l'album, revient à un esprit plus clubbing, comme pour s'extraire de ce grand refuge, s'envoler sous la forme d'un “haut les coeurs” énergique, rempli d'espoirs.
En huit titres, Tanzwelle étend un univers somptueux, moins cinégénique que ses prédecesseurs, aussi versatile qu'homogène. A celles et ceux ayant suivi les nombreuses collaborations du duo au cours des dernières années, de Nestorisbianca à ESB, il se présentera surement comme une convergence artistique heureuse, apaisée. Lionel et Marie y découvrent le meilleur d'eux-même, sans hyperbole, avec la délicatesse des forces sûres ; de celles qui font naitre les refuges où nous nous lovons.
Romain Benard