Laurynas Bareiša • Réalisateur de Drowning Dry
“Je ne fais pas de sermon, parce que je suis conscient de mes propres limites, mais je veux montrer la réalité”
par Muriel Del Don
- Nous avons rencontré le réalisateur lituanien, dont le deuxième long-métrage raconte l'histoire de deux soeurs qui essaient de reconstruire leurs vies après un terrible accident
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interview : Laurynas Bareiša
fiche film] de Laurynas Bareiša, qui vient de faire sa première mondiale en compétition au Festival de Locarno, parle du traumatisme causé par la mort d'un être cher, et de la difficulté de reconstruire sa vie après. Nous avons rencontré le réalisateur pour discuter de l’origine du film, de la manière dont il dirige les acteurs et de ce que noyade sèche veut réellement dire.
Cineuropa : Vos personnages essaient de gérer un traumatisme et la nature changeante des souvenirs. Qu’est-ce qui vous intéresse, dans ce parcours psychologique et mental ? Est-ce que c’est lié à votre propre vie ?
Laurynas Bareiša : Ça vient d'une chose que j’ai vécue, d'un incident d'étouffement avec mon fils. Ça s’est passé très vite, alors qu’on prenait notre petit déjeuner. Au début, j’ai eu l’impression qu’il faisait une crise d’épilepsie. Quand ça s’est passé, à ce moment précis, je n'ai pas eu le temps de penser, j’ai juste réagi en essayant de dégager ses voies respiratoires, mais ça n’a pas marché. Son visage a commencé à devenir bleu, alors j’ai paniqué et je me suis rendu compte que mon esprit s’était scindé : une partie de mon cerveau pensais "Je vais devoir appeler ma femme et expliquer ce qui s’est passé et que notre enfant est mort", alors que l’autre partie a juste agi. Au bout du compte, j’ai réussi à retirer l'objet de sa gosier. Ça s’est passé en quelques secondes, et après, j’ai appelé une ambulance. Analyser cet évènement m’a pris longtemps, et je l'ai digéré en écrivant le film. Lukas, dans le film, agit directement, et les autres se contentent de regarder. C’est exactement ce qui m'est arrivé : on est passif et actif en même temps.
Les personnages semblent enfouir leur chagrin en eux. Pensez-vous que l'incommunication est quelque chose qui concerne la société dans son ensemble ?
Quand j'ai commencé à bâtir toute la structure du film, la notion de noyade sèche, qui survient après être ressorti de l'eau, quand on est à la surface, est entrée en jeu. J'ai commencé à voir des parallèles entre cette condition et les relations humaines, quand on vit auprès de quelqu'un mais qu'on continue de se sentir seul et qu'on a l'impression de se noyer. Dans la société, nous essayons d'être de bonnes personnes, mais tout au fond, nous sommes agressifs avec nous-mêmes. Pourquoi, nous les humains, trouvons-nous si difficile d'être honnête avec nous-mêmes et avec les autres ? Tout est connecté à l'idée de suffoquer, à l'idée de la noyade sèche.
Même si ce n'est pas le sujet principal du film, vous jouez souvent avec les stéréotypes genrés. Est-ce intentionnel, ou est-ce que les relations entre ces deux couples sont tout simplement représentatives de la société lituanienne ?
Je pense que jouer des rôles spécifiquement assignés à chacun selon son sexe est aussi une situation dans laquelle nous nous noyons. Je voulais souligner la stupidité qu'il y a à réagir par rapport à une chose avec laquelle on n'est même pas à l'aise, comme cette surmasculinisation du personnage du lutteur. Il y a un conflit interne entre ce que nous sommes vraiment et ce que la société attend de nous. On peut clairement appeler ça agression. Je pense que c’est très contre-productif, surtout quand on a la possibilité de choisir de vivre dans une société paisible, une société où tout le monde a son propre espace et peut être qui il veut. Je ne fais pas de sermons, parce que je suis conscient de mes propres limites, mais je veux montrer la réalité.
Vos acteurs et actrices sont impressionnants, car ils sont affectueux et froids en même temps. Comment avez-vous travaillé avec eux ?
Nous voulions vraiment construire un groupe soudé. Nous voulions qu’il y ait une alchimie entre eux et qu’ils servent de soutien aux enfants-acteurs. Ils devaient savoir comment communiquer avec eux. Trois d’entre eux sont allés à la même école d'art dramatique, donc ils avaient vécu des choses similaires. Il était important que la froideur que vous voyez à l’écran ne gêne pas le travail impliquant les enfants. Dans mon film précédent, j’ai pu creuser très en profondeur le jeu des comédiens, mais ici, avec des jeunes acteurs et actrices qui ne comprenaient pas sur quoi on qu’on travaillait, j'ai dû faire en sorte que tout reste léger. Ça n’a pas été facile, parce que j’étais aussi le chef opérateur. Avec eux, j’ai dû faire semblant que nous n’étions pas en train de faire un film, ce qui me donnait un peu l’impression d’être un tueur en série se faisant passer pour un professeur des écoles.
(Traduit de l'anglais)
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